La compagnie MEA CULPA dirigée par Sylvia ROCHE a présenté Penthésilé-e-s le samedi 7 janvier 2023 au Théâtre Toursky.
Avec Julie Charrier, Laurent Owsianka, Patricia Brachet, Alexandre Canovas, Charlotte Grunspan, Timothée Peyre, Manon Khezami, Thomas Gestin, Kevin Hesschentier, Sabrina Kedaifa, Manoë Tricot, Vincent Estival
Direction artistique Sylvia Roche
Régie son & lumière Jérôme Pastini
Production Compagnie Mea Culpa
Article paru dans la revue Artistikrezo à propos de Penthésilé.e.s/ » au Théâtre Toursky – Marseille
Sylvia Roche et l’esthétique indisciplinée par Patrick Pat Ducome
Pour faire la critique d’un seul des spectacles de Sylvia Roche en particulier, il convient de reprendre tous ceux qu’elle a mis en scène précédemment. Cette démarche est nécessaire pour comprendre le fil conducteur de cette créatrice. D’abord rappelons que la qualité de l’enseignement qu’elle donne au sein de Mea Culpa, l’Ecole de Théâtre de Marseille qu’elle a créée, est reconnu par la profession et par le public. Dire ensuite, que ce lieu d’apprentissage du théâtre a donné de belles et fortes personnalités, des comédiennes et des comédiens qui se sont jetés professionnellement dans ce métier dont elle défend les auteurs les plus pertinents, ceux qui, comme elle l’affirme, ont vraiment quelque chose à dire, qui vous transportent, vous font prendre conscience et qui permettent de remettre en question nos certitudes qu’elles soient sociales, politiques, culturelles. Du reste, il y a chez elle cette opinion ancrée comme le dit Julien Gosselin, cet autre metteur en scène, que ce qui est radical ne laisse jamais indifférent !
Le refus de la trahison et de toute domination
Les auteurs que choisit Sylvia Roche ont tous une approche très personnelle de la dramaturgie : Jelinek, Dilasser , Sivadier, Bernhardt, Koltès ou encore Lars Noren du Riks Drama national de Suéde, emporté par le Covid de janvier 2021, pour ne citer qu’eux. Dans leur combat qu’elle partage contre la médiocrité, Ils donnent à chaque mot un sens qu’elle sait et veut traduire dans ses mises en scène. Les textes sont très importants. Elle nous dit qu’il lui faut les lire et les relire pour en saisir le sens le plus profond qui se cache souvent dans un seul cri de joie ou se découvre au détour d’une détresse sans fond. Car ce refus de la trahison de l’auteur lui permet de se saisir de toutes les situations qui peuvent l’autoriser à en tirer sa théâtralité et donc la mise en espace des sentiments et des situations.
Sylvia Roche revient donc sur le mythe de Penthésilée, révélé par le texte d’Heinrich von Kleist et elle a choisi celui de Marie Dilasser. Ici, les Amazones se mélangent avec les hommes et les femmes que réunit et conjugue leur refus de toute domination. Pour sublimer la passion fulgurante de Penthésilée et d’Achille et leur bataille, la metteuse en scène veut donner sa vision d’une seule entité qui englobe ces deux principes féminin et masculin.
Marie Dilasser a écrit Penthésile.e.s en 2020 à Rennes juste après avoir largué son café-tabac-épicerie de Bretagne. On dit cette écrivaine autiste. Que signifie cela si celle-ci n’est pas embourbée dans son mutisme visible, pour, au contraire, écrire noir sur blanc ses mille pensées, ses mille mots en revenant toujours au théâtre du sentiment ?
Sylvia Roche emboite le pas à cet autre metteuse en scène, Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux Sauvages ( fabrique artistique et culturelle de la ville de Paris) Elle poursuit comme elle sa quête d’une esthétique indisciplinée où se mêlent en permanence les arts et en particulier le théâtre, la danse et la musique jusqu’à la vidéo en accordant une attention particulière aux écritures contemporaines. En mai 2022, le Théâtre de la Tempête a programmé Penthésilé.e.s/» mis en scène par Laëtitia Guédon après qu’elle l’eut créé et conçu l’année précédente pour la 75e édition du Festival IN d’Avignon en en confiant l’écriture à Marie Dilasser.
Un univers hermaphrodite
Tout d’abord, le jeu des acteurs. Dans le fort beau « Penthésile.e.s » que nous venons de voir au Théâtre Toursyi de Marseille, ces femmes et ces hommes jeunes et moins jeunes jouent sans se soucier de savoir s’ils sont hommes ou femmes, c’est ce que demande le texte écorché de Marie Dilasser. Ils jouent avec la joie du jeu. On le sent, on le voit, c’est flagrant. Les acteurs sont visiblement heureux d’interpréter leur(s) rôle(s), cette qualité première au théâtre est déjà prenante.
Pourtant l’acteur, cet individu sensible que la metteuse en scène expose, est malmené, parfois meurtri et souvent mis en danger. Entre excès et défis, il devra se dégager de la soumission au pouvoir pour dénoncer les puissants, les dominants qui abusent et qui vampirisent la société. En résumé, c’est en revendiquant une forme personnelle de création que Sylvia Roche dénonce les fêlures des hommes et les injustices de la société.
Sur le plateau, de beaux tableaux animés nous transportent, nous impressionnent et se figent soudain dans une position qui évoque évidemment la statuaire de la mythologie grecque. Tout sur cette scène est envoûtant jusqu’aux danses qui nous renvoient à l’origine de l’humanité. La mise en scène s’est appropriée un excellent déroulé sonore. Les musiques, les chants et les lumières permettent à cette belle compagnie de nous restituer un battement rythmé permanent sur lequel les acteurs disent leur texte en utilisant la technique oratoire, leur gestuelle faisant le reste.
Avec les javelots des tribus anciennes et dans un langage très contemporain, elles sont danseuses comme ils sont danseurs. Ils sont comédiens comme elles le sont. Ils vivent dans un univers quasi hermaphrodite ainsi que l’un d’entre eux le démontre afin d’aller plus loin dans le thème amazonien.
Nous voilà emportés par une femme de théâtre qui traduit à la scène ce que sont ses convictions les plus fortes, enchainée qu’elle est entre sa propre préhistoire et le Satyricon qui l’habite.
Celui-ci lui souffle-t-il chaque jour qu’il se fait que la beauté des choses se trouve en fait à la marge de l’histoire ?
Sylvia Roche, en tout cas, a toujours envie de nous le dire.
© P. DuCome pour ArtistikrezoA A